L’animation non-directive des groupes

Livre de Michel Lobrot, Paris, Payot, 1974, 255 p.

Morceaux choisis

Il est probablement significatif que j’aie découvert l’animation à travers le métier de professeur, c’est-à-dire comme une certaine manière possible d’exercer le métier de professeur. Certes, je n’en suis pas resté là, et l’animation m’apparaît maintenant comme un métier autonome qui dépasse de loin le métier de professeur. Je suis pourtant parti de là.

Déjà, avant de connaître la psycho-sociologie, la dynamique de groupe, la non-directivité, j’essayais de vivre mon métier de professeur d’une manière différente de celle dont la vivent la plupart des enseignants. J’ai été quatre ans professeur de philosophie et deux ans professeur de psycho-pédagogie avant d’être nommé professeur de psychologie au Centre-National-de-psychologie-spéciale où j’ai découvert l’animation. Durant ces six années, je me suis senti mal à l’aise dans ma peau d’enseignant, et j’ai essayé de casser le cadre dans lequel on m’enfermait.

Mes tentatives à cette époque sont assez misérables. Je fais parler mes élèves, je parle avec eux, je parle de leurs problèmes. J’entretiens des relations personnelles avec eux. Je les aime et je me fais aimer d’eux. J’ai horreur de faire des cours, et pourtant j’en fais, mais sans respecter les programmes. J’invite les élèves chez moi. J’organise des « parties ». Les élèves se confient à moi et je les aide. Dans mon premier poste, mes élèves ont tellement d’estime pour moi qu’ils en oublient mes idées athées et anti-conformistes et parlent de moi au curé de la ville comme d’un homme proche de lui. Le curé vient me voir et éprouve une cruelle déception. Je ne suis manifestement pas ce qu’il attendait.

Tout cela me paraît maintenant bien dérisoire, bien maladroit. Il n’y avait là dedans rien de pensé, rien de systématique. Je n’avais pas le courage d’aller jusqu’au bout et d’envoyer promener le sacré rapport maître-élève avec son cortège de bonnes intentions et de savantes manipulations. Je me mettais moi-même dans mes cours. C’était vraiment ma pensée, avec mes préoccupations et mes problèmes. Mais pourquoi cette pensée ne se présentait-elle pas pour ce qu’elle était et prenait-elle la forme d’un chemin tout tracé que les élèves devaient apprendre et comprendre ? Pourquoi se voulait-elle source unique de formation alors qu’elle n’était rien d’autre qu’une information sur mes conceptions et mes perceptions ?

J’étais en attente d’autre chose et cette autre chose me fut révélée quand je fis la connaissance de la dynamique de groupe en 1959. Je compris très vite, en l’espace d’un ou deux ans, qu’il y avait là une idée révolutionnaire, qui contenait une profonde vérité et qui allait me permettre d’être enfin en accord avec moi-même

Je passe sur la suite, tant je suis fatigué de l’avoir mainte et mainte fois racontée : la formation du groupe de « pédagogie institutionnelle », l’idée d’auto-gestion pédagogique, la décision d’entreprendre des expériences dans ce sens. Désormais mes élèves ne seraient plus « conduits » par moi dans le chemin de la connaissance mais se conduiraient eux-mêmes. Cette connaissance, j’allais très vite découvrir que c’était surtout la connaissance d’eux-mêmes qu’ils voulaient et devaient acquérir. Je bascule sans le savoir dans le « groupe de diagnostic ». Mes classes deviennent des « groupes de diagnostic » dans lesquels l’aspect d’acquisition du savoir devient secondaire voire absent. Peu importe, si cela correspond au besoin et à la volonté de mes élèves. Le besoin, le vouloir, le désir redeviennent primordiaux. Je me transforme en « jardinière d’enfants » qui aide des bébés à faire leurs premiers pas dans la voie de la communication et de l’interaction. Je découvre Carl Rogers et sa conception de l’empathie, nous y reviendrons. J’ai trouvé ma voie et je ne suis pas près de l’abandonner. J’ai quarante ans. Il était temps.

Pourquoi cette illumination face à la non-directivité et à la dynamique de groupe ? D’autres les ont aussi rencontrées et n’ont pas été séduits comme je l’ai été. Pourquoi ?

Je pourrais dire qu’elles répondaient à mes convictions. Cela pourtant n’est qu’à moitié vrai. La critique intellectuelle – théorique – que j’ai faite de l’autorité n’est venue qu’après, surtout ces dernières années, avec un livre comme Pour ou contre l’autorité. J’avais, à cette époque, des idées de gauche, proches de l’anarchisme, qui me rendaient méfiant à l’égard de toutes les formes de directivisme. Mais ces idées n’étaient pas encore aussi fortes, aussi structurées qu’elles le sont aujourd’hui. Cela n’explique pas l’enthousiasme que j’éprouvais face à la dynamique de groupe et à la non-directivité à ce moment-là.

La seule explication possible est dans ma personnalité. J’avais, et j’ai probablement encore, une personnalité qui se trouvait en accord avec tout cela. J’espérais trouver là-dedans la satisfaction d’un certain nombre de mes aspirations. […]

Résumons-nous. A regarder attentivement cette période de ma vie qui s’étend de 14 à 26 ans, elle m’apparaît pleine d’événements exceptionnels et pour ainsi dire d’accidents, au sens heureux et malheureux du terme.

C’est d’abord à 14 ans la rencontre avec l’Abbé L. et l’amitié extraordinaire que je noue avec lui. Une telle amitié entre un adolescent et un adulte – et pas n’importe quel adulte (il était écrivain, poète, musicien, militant politique) – est une chose rare.

C’est ensuite la guerre, dont je n’ai pas parlé jusqu’ici, mais qui a marqué profondément les hommes de ma génération. J’ai 15 ans lorsque la guerre éclate et 21 ans lorsque survient la libération. Toute mon adolescence est marquée par la guerre et l’occupation. J’ai eu faim ; j’ai pleuré de faim. J’ai eu froid, à une époque de travail intense pour préparer les examens finaux. Les dangers et les menaces de toutes sortes, les queues, les restrictions, les bombardements resserrent les liens familiaux, rendent les parents plus compréhensifs, plus affectifs, moins préoccupés par la bonne éducation. On pense plus à survivre qu’autre chose. Le monde est bouleversé et les valeurs traditionnelles vacillent.

C’est la rentré chez les Dominicains et surtout le fait que j’y tombe gravement malade et suis obligé de mener une vie à part pendant des années durant lesquelles je peux faire les choses dont j’ai envie : lire, connaître des amis, réfléchir, méditer. L’atmosphère intellectuelle, d’une très haute qualité, qui régnait chez les Dominicains m’a aussi été profitable. […]

J’aurais pu devenir un bon religieux intégré dans l’univers de la bonne conscience. Mais voici que, par une nouvelle série d’accidents, j’échappe aussi à ce monde, que je finis par renier et par rejeter complètement. […]

Mon évolution n’est évidemment pas terminée quand, à 27 ans, je me marie et m’exile en province avec ma femme. Bien au contraire, elle ne fait que commencer. Le départ est pris et, je le crois, dans la bonne voie. Il reste à marcher. […]

Par rapport à mon évolution personnelle, trois choses ont eu sur moi une influence déterminante, à savoir : ma rencontre avec C. Rogers et la non-directivité, l’expérience que j’ai faite comme participant dans les groupes d’action ou les organismes dont j’ai pu faire parti professionnellement comme l »Institut des Sciences de l’Education », enfin mon engagement politique et mes activités de militant dans des cadres divers.

1. Découverte de la communication et de C. Rogers

[…] L’éthique rogérienne, qui correspondait déjà à certaines tendances de ma personnalité, est devenue une conviction raisonnée qui n’a pas cessé de m’animer depuis que je l’ai rencontrée. J’ai essayé de la faire passer dans ma vie personnelle et cela m’a amené souvent à des comportements qui étonnaient mon entourage.

Le plus difficile dans cette voie n’est pas d’acquérir la confiance envers autrui, d’une manière systématique et pour ainsi dire a priori, mais de ne pas répondre à sa méfiance. On arrive facilement à considérer que les autres ne constituent pas des menaces pour vous lorsqu’ils agissent dans leur intérêt et en suivant leurs préoccupations propres sans trop se centrer sur vous. Par contre, lorsqu’ils vous considèrent comme des menaces pour eux et qu’ils vous mettent en accusation, ayant envers vous cette attitude que vous ne voulez pas avoir envers eux, il devient difficile de les accepter. Autrement dit, il est aisé de ne pas être agressif, mais il est moins aisé de ne pas répondre à l’agressivité qu’on dirige contre vous. La menace devient tellement évidente qu’il est difficile de ne pas la considérer comme telle.

Comment arrive-t-on à ces attitudes d’acceptation qui ne sont ni rationnelles ni spontanées ? La doctrine rogérienne ne fournit aucune solution. Elle se contente de les préconiser.

La solution qui consiste à exprimer systématiquement tout ce qu’on pense et tout ce qu’on sent, sans discrimination, est la pire des solutions. Elle correspond à une certaine éthique qui se répand de plus en plus actuellement et qui valorise à outrance l’expression des sentiments, sans se préoccuper de l’accord avec autrui. L’expression des sentiments peut être la pire des choses si elle aboutit à augmenter les menaces et à manifester une hostilité qui ferait mieux de ne pas se manifester. La retenue et le silence peuvent aussi être des valeurs d’ils correspondent à un désir d’harmonie et d’entente.

Par contre, l’expression des sentiments et des états intérieurs commence à prendre une valeur positive si elle est faite dans un désir de négociation et d’apaisement, dans le but d’exprimer un conflit auquel on veut trouver une solution. Encore doit-elle se faire dans ce cas avec beaucoup de prudence et de circonspection.

Cette expression des sentiments devient la meilleure des choses et réellement le seul moyen de changer d’optique et de psychologie, quand elle est faite dans un but de communication, gratuite si l’on peut dire. C’est alors et alors seulement que l’autre change de visage et devient un partenaire et un compagnon après avoir été un étranger et un ennemi. Le pire est l’indifférence, car elle signifie l’absence de liens et d’implications. L’indifférence est la voie qui conduit à la haine, à la jalousie et à la violence. Nous retombons sur la communication, que nous abordions au début. Celle-ci est réellement la solution aux problèmes posés par les rapports humains. Elle seule permet d’arriver à l’empathie et l’acceptation inconditionnelle, qui apparaissent ainsi autant comme des effets que comme des conditions.

2. L’expérience de travail

L’expérience que j’ai faite dans les groupes avec des gens qui m’étaient étrangers au départ et avec qui je n’avais pas de liens quotidiens s’est très vite accompagnée d’un autre type d’expérience, avec des gens auxquels j’étais lié par des liens de travail, de vie commune, de partage de certains biens.

Cette expérience n’aurait rien été si elle s’était faite dans les groupes qu’on rencontre dans la vie courante, je veux dire des groupes fortement hiérarchisés, polarisés uniquement sur une certaine production, dirigés autoritairement. Ces groupes-là n’apportent pas grand-chose à leurs participants sinon l’expérience de la dépendance, de la frustration et de la méfiance.

Dès 1968, je m’efforce de créer avec des amis un nouveau type d’institution dans laquelle les responsabilités devaient être entièrement partagées, qui ne devait comporter aucun directeur en titre, qui allait fonctionner en auto-gestion, comme on dit. L’institution que nous créons ensemble s’appelle l’ »Institut des Sciences de l’Education » et a pour but de proposer à la clientèle des expériences de groupes selon des formules variées. En 1970, je suis nommé officiellement professeur à la Faculté de Vincennes, après avoir été pendant douze ans au Centre National de Beaumont-sur-Oise où l’on forme des enseignants pour l’enfance inadaptée. A la faculté de Vincennes, le département De sciences de l’Education auquel je m’intègre fonctionne selon une formule de participation poussée au moins au niveau de corps professoral.

Les difficultés rencontrées sont considérables. Des conflits et des désaccords surgissent, qui finissent avec le temps par être surmontés, grâce à l’amitié qui nous lie et qui nous permet de ne pas devenir des ennemis et de ne pas nous entre-dévorer. Je vérifie là ce que je disais plus haut, à savoir que la communication libre et gratuite sur le mode de l’amitié crée des liens qui ensuite permettent de surmonter les conflits. Cela ne se passe évidemment pas dans les institutions ordinaires, dans lesquelles les conflits très violents ne peuvent se résoudre à cause de l’éloignement des participants les uns vis-à-vis des autres. On en reste à un fonctionnement formel et bureaucratique de peur que ces conflits ne surgissent et ne fassent éclater l’institution.

La plus grosse difficulté rencontrée n’est pourtant pas celle-là. Elle provient surtout du fait que les membres de ces institutions nouvelles investissent trop peu de temps et d’énergie en elles, à cause de leurs occupations ordinaires qui leur prennent la plus grande partie de leur temps et de leurs forces. Ils n’y viennent travailler que peu et manquent de loisirs pour assister aux innombrables réunions qu’on est obligé de faire pour faire fonctionner l’institution. On finit très vite par rencontrer des problèmes économiques, qui exigeraient le recours à des solutions audacieuses qui prendraient elles-mêmes beaucoup de temps pour être trouvées. L’institution entre en crise et finit par disparaître.

A travers ces mésaventures, j’apprends la modestie et la patience. Je me rends compte que, dans le monde où nous vivons, on ne peut pas espérer traduire dans la vie quotidienne toutes ses idées et ses aspirations. Si l’on est prêt soi-même, les autres ne le sont pas, et cela empêche d’avancer. Je me détourne de plus en plus du radicalisme et des positions extrémistes – gauchistes ou autres. Plus exactement, j’apprends à situer le radicalisme là où il doit être situé, c’est-à-dire au niveau de mes attitudes et non au niveau de mes attentes. J’apprends à ne dépendre que de moi-même, comme disaient les philosophes d’autrefois, et à n’attendre des autres que ce qu’ils peuvent donner et ce que je peux obtenir d’eux.

Dans la même ligne, j’acquiers la conviction que l’auto-gestion, que j’ai prônée dans mon livre La pédagogie institutionnelle, n’est pas pour aujourd’hui, car elle constitue un projet trop général, trop global pour pouvoir être réalisée rapidement. Je suis sûr qu’elle arrivera et que j’aurai contribué à son avènement. Mais je sais maintenant que cela demandera du temps.

3. L’engagement politique

Une dernière influence qui a beaucoup contribué à l’évolution de ma personnalité est celle de mes engagements politiques ou d’une manière générale de toutes mes activités militantes.

Cela aussi est venu tardivement chez moi, comme tout ce dont je viens de parler. J’ai attendu l’âge de 35 ans pour m’y mettre. Pratiquement, c’est mon retour à Paris, en 1958, après cinq années de province comme professeur de philosophie puis de psycho-pédagogie, qui a constitué le tournant important. C’est à ce moment que j’ai découvert la non-directivité, C. Rogers et que je me suis mis à écrire presque sans discontinuer.

Entre 25 et 35 ans, c’est-à-dire durant les dix années qui ont suivi ma sortie de chez les Dominicains, non seulement j’ai abandonné la presque totalité des idées de ma famille et de mon milieu, mais j’ai évolué politiquement de plus en plus vers la gauche. J’ai même été tenté un moment par le parti communiste mais il m’a suffi de quelques réunions pour m’apercevoir que je n’avais pas envie de m’inféoder à cette nouvelle église.

Ce qui a déclenché mon entrée effective dans l’action politique est la guerre d’Algérie. J’ai senti à cette occasion que je ne pouvais plus rester inactif et je suis entré au P.S.U., qui m’apparaissait alors comme un parti nouveau, jeune, dynamique, moins rigide que les autres, avec des idées que j’approuvais pour la plupart.

En 1960, je me mets à militer activement au P.S.U. Je prends part aux nombreuses manifestations qui ont lieu pour mettre fin à la guerre d’Algérie. Je me bats. Je m’engage.

Je me sens solidaire de tous ceux qui souffrent et qui sont écrasés et exploités de par le monde. Cela est nouveau pour moi. Je sors de l’indifférence que j’avais jusqu’alors dans ce domaine et j’acquiers une sensibilité nouvelle, qui me surprend moi-même. Je me sens proche de ces Algériens qui luttent pour leur liberté et leur dignité. J’éprouve de la colère devant la dureté, la férocité froide et égoïste de la classe bourgeoise.

J’apprends aussi le courage physique, la détermination, la solidarité dans la lutte, toutes choses qui m’étaient assez étrangères jusque là. La découverte de ces valeurs simples, un peu élémentaires, est importante pour moi qui ai tendance à me perdre dans l’intellectualité et la sophistication.

Cependant, il y a beaucoup de choses qui ne me plaisent pas dans ce monde de la politique, choses auxquelles je deviens progressivement allergique, et qui amèneront ma sortie du P.S.U. En 1968, j’ai abandonné complètement toute activité militante après un cours passage dans un parti néo-trotskyste, « Socialisme ou barbarie ».

Ce que je supporte mal dans le monde de la politique, c’est l’aspiration au Pouvoir qu’on y sent partout, même chez ceux qui combattent le Pouvoir actuel et qui veulent un nouveau type de société. Les magouillages électoraux, les intolérances dans les discussions, les haines entre personnes me dégoûtent et je ne peux les approuver.

L’aspiration au Pouvoir, le goût de l’autorité sont tels dans cet univers que cela se traduit au niveau des idées et des conceptions. Tout se ramène en définitive à la prise de Pouvoir et à l’affirmation, sans cesse répétée, qu’on ne peut rien changer sans une transformation globale de la société et sans un bouleversement révolutionnaire. Cela m’apparaît comme une erreur. Cette conception mécaniste des choses aboutit à nier l’autonomie des personnes et des groupes et à croire qu’ils ne sont jamais que des pièces dans une machine. Elle contredit les faits, qui ont largement prouvés, depuis cent cinquante ans, qu’il est possible d’opérer des changements substantiels et des progrès importants dans des sociétés aliénées, à condition naturellement de lutter sans cesse et de mettre en place des dispositifs qui protègent les avantages acquis. Je suis de plus en plus persuadé que le changement social passe par le changement en profondeur des individus, qui sont les vrais moteurs du système, et que le macro-social s’enracine dans le micro-social. Cela ne supprime pas la nécessité d’actions plus globales pour faire sauter certains verrous qui bloquent une société entière ou de très larges secteurs de celle-ci, mais ces actions globales, généralement accompagnées de violence, ne sont que des préparatoires, des préliminaires, des conditions et ne constituent en rien le changement social lui-même. Ils exigent, il est vrai, une action militante, à laquelle je ne veux pas consacrer ma vie. Ce n’est rien d’autre que l’acte d’un citoyen qui participe aux affaires publiques. Ce n’est en rien une affaire de spécialiste.

Ces vues, que je me forge peu à peu, se confirment en 1968. Les transformations qui se produisent alors dans les mentalités et dans les institutions, et qui sont considérables, s’accompagnent d’un échec dans la tentative de prise du Pouvoir. Cet échec, loin de devoir être déploré, est une excellente chose. Qu’est-ce que la Gauche aurait fait du pouvoir si elle l’avait pris ?

L’évolution que je suis en train de décrire et qui rejoint celle que j’ai déjà décrite dans le paragraphe précédent m’amène à rejeter de plus en plus toutes les formes de messianisme, quelles que soient leur origine et leur visée. Toutes ces doctrines ne font en effet rien d’autre que de promettre à l’homme le salut comme une chose qui viendrait d’ailleurs, qui surviendrait un beau jour et qu’on pourrait dater dans un nouveau calendrier. J’acquiers la conviction que le salut de l’homme est en lui-même et qu’il ne peut s’en remettre en définitive qu’à lui seul. On peut naturellement l’aider, et cette résulte, il est vrai, d’un dispositif institutionnel, mais elle n’a de valeur à son tour que dans l’acte même de la personne qui demeure le seul facteur instituant.